J'entends toujours cette demande :
"_ Pourquoi et à quoi sert l'art-thérapie ?"
Salieri disait que "la musique de Mozart avait trop de notes".
En ce cas, ça fait rire.
Néanmoins par ailleurs,
on pourrait dire qu'il y a trop de mots accros à des réponses .
Les mots n'ont pas à s'infiltrer partout
en vue d'expliquer tout et n'importe quoi,
notamment "le bien vivre", "le bonheur",
et tout ce qui habite l'acte de vivre.
Il y a de "l'impossible dire".
C'est en cela que devient nécessaire
l'acte d'ouvrir la présence d'un espace sans mot,
juste à côté de la parole,
chaque fois que nous prenons cette dernière, voire l'entendons.
La pratique d'un art occupe l'espace de l'impossible dire,
sans mot donc.
Je l'appelle de ce fait : "espace constructeur",
comme on peut le dire d'une toile blanche.
C'est en cela que la pratique d'un art,
ajoutée à l'exercice de la parole lors d'une psychanalyse classique,
permet d'en dire d'avantage et autrement sur soi,
(d'une pierre valant plein de coups en même temps),
sur ce qui fait barrage,
fait ombrage à la liberté, à la responsabilité d'être pleinement soi.
L'art-thérapie détient exactement les mêmes objectifs que la psychanalyse
tel que l'a crée Freud.
L'art-thérapeute détient les mêmes devoirs de références et de formation.
L'usage de l'art ajouté
est comme une deuxième langue pour parler vrai.
Ni plus. Ni moins.
Pour les enfants surtout l'effet est salutaire,
mais aussi pour les adultes qui ne désirent pas maîtriser forcément
les secrets des finesses linguistiques de leur langue maternelle,
ou bien un esprit d'analyse délibéré.
Une notion malmène beaucoup d'entre nous.
Pourtant elle n'existe que dans l'imagination.
Il s'agit de la notion de finalité.
Cela va avec la croyance aux "sciences exactes" par exemple
qu'on a tendance à opposer aux sciences dites "molles"
tel que les sciences humaines.
D'aucuns ont du mal semble-t-il à supposer cette thèse :
Il n'y a pas de fin.
Il n'y a pas de réponse.
Tout est passage.
Tout est passant,
comme cette annonce vivifiante, mais nécessaire et suffisante, posée en mathématique :
"_ Soit l'infini".
Les bords, les cloisonnements, ce sont les nôtres, ni plus ni moins.
Ils dépendent de notre éclairage sur les choses,
et quand on les pose,
ils donnent à voir la dimension de notre vision, soit nos humbles limites.
... Tout autant, ces cloisons
disent comment nous habitons le monde,
de quoi est faite notre maison dans sa structure.
Ainsi sommes-nous également "maître d'oeuvre" d'une telle construction.
La pratique du dessin et de la peinture
suspend ( c'est à dire tient clairement visible, lisible, accroché en l'air)
tout besoin d'analyse avec les mots.
Montrez-moi comment vous représentez une chose
et je vous dirai quels bords vous déposez
qui limite votre regard sur le monde.
C'est aussi bête que ça.
Tout travail pictural nous réfléchit. J'y suis aussi en tant que peintre.
Ce qui est nettement plus complexe,
( et la psychanalyse sert à cela)
c'est de comprendre et donc d'aller voir,
comment et pourquoi
on a mis des bords à des endroits précis
fermant nos horizons qui eux, en réalité sont bel et bien infinis.
Par exemple, parlons du plaisir.
Ce terme semble ne raisonner la plupart du temps,
que dans le champ borné de la sexualité.
Or le plaisir de vivre naît bien avant celui l'expérience sexuelle.
Regardons les nourrissons qui débarquent dans le monde où on vient de le mettre.
Il y en a un qui dort paisiblement
tandis que l'autre empêche tout le monde de dormir.
Ahhhh.... c'est bête ça ! Quel monstre celui-là !
On pourrait dire aussi que le plaisir de vivre
est la puissance d'une sexualité vécue sans fin, sans bord, en toute chose,
si on tient à poser cette question d'une liberté sexuelle.
On peut définir l'artiste comme le jouisseur constant de la vie.
Il fornique _ le mot est juste _ avec n'importe quoi,
jusqu'à ce que mort s'en suive.
Ce qui fait sens de vivre, c'est aller vers nulle part, à l'ouvert.
Cela n'a de sens que vers une vie considérée sans fin.
S"aventurer vers ce qu'on ne sait pas
c'est cela la définition pure de "lendemain".
A contrario, aller vers une réponse
c'est aller vers notre passé qui l'a construite en nous
au mépris de l'insu,
existant pourtant comme paramètre essentiel
dans la notion du lendemain.
Créer c'est donc aller vers nulle part.
Un travail sur soi, un travail avec soi, va vers là.
Vivre, aimer, jouir c'est aller vers nulle part.
Par contre, cet aller
figure la voie que votre histoire nous a ouverte.
C'est en cela,
dans cette analyse de notre histoire personnelle,
que nous pouvons agir sur notre vie,
notre plaisir infini d'être au monde,
en pleine puissance joyeuse
d'exercer l'agencement connu de tous nos désirs,
à l'abri des dictats sociaux, moraux qui nous sont contemporains.
Devenir acteur responsable de sa vie,
c'est ce que la psychanalyse offre
et ce que l'art, sans le moindre bord, tend à exprimer.
Être art-thérapeute en plus d'être peintre,
c'est prendre plaisir à transmettre les clés de
son propre plaisir de vivre face au monde,
en repoussant nos limites.
Il s'agit d'un devenir et non d'un acquis.
Vivre s'exerce humblement chaque jour.
Il n'y a pas ni fin, ni réponse donc.
Tout passe....
Ce je j'ai vécu hier
n'est pas forcément reconductible demain,
même si à l'instant dans le contexte, ce fut juste.
Tout est à revoir, à recréer sans cesse.
Je ne sais rien.
... sinon que tout est possible à l'infini.